Le mode de fusion dans la symbologie de QGIS est un sujet souvent méconnu, alors qu’il permet de créer des cartes bien plus expressives.
La symbologie dans QGIS : bien plus que des couleurs
La symbologie est au cœur de la cartographie avec QGIS. Elle permet de transformer des données brutes — points, lignes, polygones ou rasters — en représentations visuelles compréhensibles et esthétiques. À travers les réglages de couleur, d’opacité, d’épaisseur, de style de ligne ou de remplissage, l’utilisateur peut déjà construire des cartes informatives et lisibles.
Mais la symbologie dans QGIS ne se limite pas à appliquer une couleur ou un style à une couche. L’un de ses atouts avancés est la possibilité d’utiliser les modes de fusion (blending modes). Ceux-ci définissent la manière dont une couche (ou un symbole particulier) interagit visuellement avec celles situées en dessous. En d’autres termes, QGIS ne se contente plus d’empiler les couches les unes sur les autres : il permet de les faire « dialoguer » graphiquement.
Grâce aux modes de fusion, il devient possible de :
- assombrir ou éclaircir une couche selon le fond,
- créer des effets de transparence sélectifs,
- combiner un fond raster avec une carte thématique vectorielle,
- ou encore enrichir une représentation en ajoutant du relief visuel.
Cette logique ne vient pas du monde des SIG, mais de celui du graphisme numérique. Les utilisateurs de logiciels comme Photoshop, Illustrator ou GIMP connaissent bien les modes de fusion, car ils y sont utilisés pour mixer des calques d’images. QGIS a intégré ces mêmes principes, offrant ainsi aux cartographes la possibilité d’emprunter des techniques créatives au design graphique.
Résultat : au lieu d’une carte plate où chaque couche masque les autres, on peut produire des rendus où les informations se superposent et s’enrichissent mutuellement, ouvrant la voie à des cartes à la fois plus lisibles, plus expressives et plus esthétiques.
Qu’est-ce qu’un mode de fusion ?
- Définition : c’est la manière dont les pixels d’une couche (ou d’un symbole) se mélangent avec ceux situés en dessous.
- Exemple simple : en changeant le mode de fusion, une couche de routes blanches peut apparaître lumineuse sur une imagerie aérienne, ou au contraire s’intégrer subtilement.
Où trouver les modes de fusion dans QGIS ?
QGIS offre une grande flexibilité dans l’application des modes de fusion. On peut les utiliser à différents niveaux, ce qui permet de contrôler précisément la manière dont une couche ou un symbole interagit avec le reste de la carte.
1. Au niveau du symbole
Dans les propriétés de la couche → Symbologie, chaque élément du style (remplissage, contour, hachures, ombrage, etc.) peut avoir son propre mode de fusion.
Exemple : appliquer un mode Multiplier (Multiply) uniquement au remplissage d’un polygone, tout en gardant son contour en mode Normal.
2. Au niveau de la couche entière
Toujours dans les propriétés de la couche, QGIS permet de définir un mode de fusion global pour toute la couche vectorielle ou raster.
Exemple : afficher une couche de routes en mode Écran (Screen) pour qu’elles ressortent lumineuses sur une imagerie satellite.
3. Dans le compositeur de mise en page
Les modes de fusion ne s’arrêtent pas à la fenêtre principale de QGIS : ils peuvent aussi être appliqués dans la mise en page cartographique. Chaque objet (couche, image, texte) placé dans la composition peut interagir graphiquement avec les autres.
Exemple : ajouter un logo en mode Incrustation (Overlay) pour qu’il s’intègre discrètement dans le fond de carte.
4. Avec les groupes de couches
Si plusieurs couches sont regroupées, on peut également leur appliquer un mode de fusion commun. Cela permet de gérer des effets complexes sans modifier individuellement chaque couche.
Exemple : un groupe contenant plusieurs couches thématiques colorées peut être fusionné en mode Couleur (Color) sur un MNT ombré, pour combiner lisibilité et relief.
En résumé : que ce soit au niveau du symbole, de la couche, du groupe ou de la mise en page, QGIS met les modes de fusion à portée de main partout où des couches visuelles interagissent. Cette granularité permet d’expérimenter et d’obtenir un rendu parfaitement adapté au message cartographique recherché.
Les principaux modes de fusion dans QGIS 3.44 et leurs usages cartographiques
QGIS 3.44 propose un ensemble de modes de fusion qui permettent de contrôler la manière dont une couche ou un symbole interagit visuellement avec celles situées en dessous. Voici les principaux, avec des exemples concrets d’utilisation en cartographie.
1. Normal
Effet : la couche s’affiche telle quelle, sans mélange.
Usage : cartes simples où aucun effet de fusion n’est nécessaire, comme les routes ou polygones de base.
2. Multiply (Multiplier)
Effet : assombrit les couleurs en multipliant les valeurs avec celles du dessous.
Usage : superposer des polygones thématiques sur un MNT ombré pour conserver la perception du relief.
3. Screen (Filtrer)
Effet : éclaircit les pixels ; les zones claires ressortent, les noirs disparaissent.
Usage : mettre en évidence des rivières ou routes claires sur un fond sombre ou une imagerie satellite.
4. Overlay (Superposition)
Effet : combine tons clairs et foncés pour donner du relief et du contraste.
Usage : enrichir une imagerie satellite avec des polygones semi-transparents ou accentuer les contrastes topographiques.
5. Darken (Assombrir) / Lighten (Éclaircir)
Effet : Darken garde les pixels les plus foncés, Lighten garde les plus clairs.
Usage : créer des effets sélectifs pour mettre en avant certaines zones selon leur luminosité.
6. Color Dodge (Éviter) / Color Burn(Découper)
Effet : Color Dodge accentue la luminosité, Color Burn accentue les tons foncés.
Usage : renforcer visuellement certaines zones, comme des points lumineux ou des zones ombrées dans un fond MNT ou une carte satellite.
7. Soft Light (Lumière douce) / Hard Light (Lumière dure)
Effet : Soft Light apporte un contraste subtil, Hard Light un contraste plus marqué.
Usage : améliorer la perception des reliefs ou des textures sur un raster.
8. Difference ( Différencier)/ Subtract (Soustraire)
Effet : Difference crée un contraste fort en soustrayant les couleurs, Exclusion produit un contraste plus doux.
Usage : comparaison entre deux couches ou mise en évidence de changements (ex. occupation du sol sur deux dates).
Astuce : la combinaison d’un mode de fusion et d’une transparence modérée (30–70 %) permet de conserver lisibilité et esthétique. Pour l’instant, QGIS ne propose pas de modes “Hue”, “Saturation”, “Value” ou “Color” pour les couches vectorielles ou raster standard. Ces effets nécessitent un logiciel externe de traitement graphique si vous souhaitez manipuler séparément la teinte ou la saturation.
Tableau des modes de fusion dans QGIS
Mode de fusion (FR) | Effet visuel | Exemple d’usage cartographique |
---|---|---|
Normal | Aucun mélange, la couche s’affiche telle quelle | Cas standard (routes, polygones, points) |
Assombrir (Darken) | Garde les pixels les plus foncés | Superposer des zones d’ombre sans effacer le fond |
Éclaircir (Lighten) | Garde les pixels les plus clairs | Rendre visibles des zones lumineuses sur imagerie sombre |
Multiplier (Multiply) | Assombrit en multipliant les couleurs | Fusionner un MNT ombré avec une carte topographique |
Écran (Screen) | Éclaircit en inversant le produit | Mettre en évidence des rivières sur un fond sombre |
Superposition (Overlay) | Mélange contraste clair/foncé | Donner du relief ou de la profondeur à un fond |
Color Dodge (Éviter) | Accentue la luminosité | Faire ressortir des zones claires dans une carte de chaleur |
Color Burn (Découper) | Accentue les tons foncés | Renforcer des zones sombres dans un relief |
Soft Light (Lumière douce) | Contraste subtil | Améliorer la perception des reliefs ou textures sur un raster |
Hard Light (Lumière dure) | Contraste marqué | Accentuer reliefs ou structures sur une imagerie |
Difference (Différencier) | Soustrait les couleurs → effet contrasté | Comparaison de couches (avant/après) |
Subtract (Soustraire) | Contraste faible, effet inversé doux | Effets visuels originaux ou subtils sur fonds raster |
Exemples pratiques pas à pas dans QGIS
Pour bien comprendre la puissance des modes de fusion, rien de mieux que quelques exercices concrets. Voici trois mises en scène que vous pouvez tester directement dans QGIS avec des données libres.
Exemple 1 – Donner du relief à une carte choroplèthe avec le mode Multiplier
But : combiner une carte thématique colorée avec un modèle numérique de terrain (MNT) ombré pour conserver la lisibilité tout en ajoutant du relief.
- Ajoutez un MNT ombré (par ex. via
QuickMapServices > Hillshade > ESRI
ou tout MNT local). - Ajoutez une couche vectorielle de polygones (par ex. communes, occupation du sol).
- Appliquez une symbologie graduée ou catégorielle à vos polygones.
- Dans les propriétés de la couche → Symbologie → Mode de fusion, sélectionnez Multiplier (Multiply).
- Ajustez la transparence (ex. 70%).

Résultat : les couleurs de votre carte choroplèthe respectent les ombrages du relief.
Exemple 2 – Faire ressortir les rivières avec le mode Écran
But : mettre en avant les cours d’eau sur une imagerie satellite sombre.
- Ajoutez ESRI World Imagery comme fond (
XYZ Tiles
). - Ajoutez une couche de lignes hydrographiques (ex. données OpenStreetMap).
- Colorez vos rivières en bleu clair (#66CCFF).
- Appliquez le mode de fusion Écran (Screen).
- Si nécessaire, augmentez légèrement l’épaisseur du trait.

Résultat : les rivières brillent sur l’imagerie, comme si elles étaient éclairées.
Exemple 3 – Accentuer le contraste urbain avec le mode Incrustation
But : améliorer la lisibilité d’une imagerie en renforçant ses contrastes.
- Ajoutez ESRI World Imagery.
- Dupliquez la couche (clic droit → Dupliquer la couche).
- Sur la couche du dessus, appliquez le mode de fusion Superposition (Overlay).
- Ajustez l’opacité (entre 30 et 50%).

Résultat : l’imagerie gagne en profondeur et en netteté, les zones urbaines et les reliefs ressortent davantage.
Astuce avancée : n’hésitez pas à combiner plusieurs modes de fusion sur différentes couches. Par exemple, un polygone thématique en Produit + une trame vectorielle en Écran peuvent produire un rendu à la fois esthétique et informatif.
Bonnes pratiques et limites des modes de fusion dans QGIS
L’utilisation des modes de fusion ouvre de nombreuses possibilités pour enrichir vos cartes, mais elle nécessite quelques précautions pour garantir une lisibilité optimale et éviter les mauvaises surprises.
1. Toujours garder la lisibilité au centre
Le but premier d’une carte est de transmettre une information. Les effets graphiques ne doivent jamais nuire à la compréhension.
Conseil : testez toujours vos cartes avec et sans mode de fusion pour vérifier que les données restent lisibles.
2. Jouer sur l’opacité en complément
Un mode de fusion trop intense peut saturer le rendu. L’opacité (entre 30 et 70%) est souvent la clé pour obtenir un effet subtil mais efficace.
3. Vérifier le rendu à l’impression
Certains modes de fusion (notamment Différence ou Exclusion) peuvent donner un rendu imprévisible selon le format de sortie (PDF, impression papier).
Conseil : faites un test d’export avant diffusion.
4. Documenter vos choix
Si vous publiez une carte avec des effets visuels avancés, indiquez dans la légende ou dans la documentation le type de traitement appliqué. Cela aide les utilisateurs à comprendre la logique de la représentation.
5. Éviter l’excès
L’abus d’effets visuels peut transformer une carte en illustration artistique mais la rendre inutilisable sur le plan informatif.
Conseil : limitez l’usage des modes de fusion à un ou deux éléments clés de la carte.
6. Garder un œil sur la performance
Certains modes de fusion appliqués sur de grandes couches raster peuvent ralentir l’affichage.
Conseil : utilisez des extraits (mosaïques ou tuiles) ou simplifiez les couches si nécessaire.
En résumé : les modes de fusion dans QGIS sont de véritables outils de design cartographique. Bien utilisés, ils apportent de la profondeur, du contraste et de l’esthétique. Mal utilisés, ils peuvent brouiller le message. Comme en cuisine, la recette réside dans le bon dosage.
Conclusion
- Les modes de fusion ouvrent la voie à des cartes plus expressives, qui combinent esthétique et clarté.
- Ils permettent à QGIS de se rapprocher des logiciels graphiques, sans quitter l’environnement SIG.
- Recommandation : expérimenter avec un MNT, une imagerie et une couche vectorielle pour explorer les possibilités.