Modéliser l’incertitude et les transitions progressives dans QGIS grâce au plugin FuzzyAttributes.
Tout n’est pas noir ou blanc en géographie. Pourtant, les outils SIG imposent souvent des choix binaires. Que faire des zones de transition ? Des critères partiellement remplis ? Avec la logique floue, vous pouvez représenter des réalités plus subtiles, en attribuant des degrés d’appartenance aux objets géographiques. Le plugin FuzzyAttributes vous permet d’appliquer ces concepts dans QGIS, facilement. Une avancée précieuse pour l’analyse environnementale, l’aménagement du territoire ou les études de vulnérabilité.
Pourquoi utiliser des valeurs floues dans l’analyse spatiale ?
Dans nos travaux quotidiens avec les SIG (Systèmes d’Information Géographique), nous sommes souvent amenés à travailler avec des données numériques précises : un taux, une distance, un pourcentage. Mais dans bien des situations, la réalité n’est pas aussi nette. Elle est vague, incertaine, ou subjective. Et c’est là qu’interviennent les valeurs floues.
Le monde n’est pas binaire
Prenons un exemple simple : est-ce qu’un sol est « acide » ? Si l’on se fie uniquement à un seuil de pH, on pourrait dire :
- Oui, s’il est inférieur à 5.5
- Non, s’il est supérieur
Mais un sol à pH 5.6 ? Est-il vraiment si différent d’un sol à pH 5.4 ?
Dans la réalité, la transition est progressive. Il est plus juste de dire que le sol est plutôt acide, ou modérément acide. C’est cette nuance-là que permet la logique floue.
Ce que sont les valeurs floues
Une valeur floue ne dit pas simplement « oui » ou « non ». Elle exprime un degré d’appartenance à une catégorie. Par exemple :
pH | Degré d’appartenance à « sol acide » |
4.5 | 1.0 (très acide) |
5.0 | 0.8 |
5.5 | 0.5 |
6.0 | 0.2 |
7.0 | 0.0 (neutre) |
Ce type de représentation permet de mieux traduire des phénomènes continus dans des processus de décision.
L’intérêt dans l’analyse multicritère
Lorsque plusieurs critères entrent en jeu — par exemple, pour déterminer l’aptitude d’un site à l’agriculture, ou la vulnérabilité d’un territoire —, il est souvent difficile de combiner des seuils rigides.
Les fonctions floues permettent de :
- Prendre en compte l’incertitude ou la subjectivité des seuils,
- Traduire des jugements experts comme « un sol légèrement acide est acceptable »,
- Pondérer des critères avec des poids inégaux ou des réponses asymétriques.
Cas réel : évaluer une zone à risques
Imaginons qu’on veuille évaluer la vulnérabilité à l’érosion d’un bassin versant, en combinant :
- La pente,
- Le type de sol,
- Le couvert végétal.
Chacun de ces facteurs peut être flouté :
- Une pente douce → vulnérabilité faible (0.2),
- Un sol limoneux → vulnérabilité moyenne (0.6),
- Un sol nu → vulnérabilité forte (0.9).
Une fonction d’agrégation floue permet de combiner ces scores tout en tenant compte de leur importance relative (la pente étant plus critique que le sol, par exemple), pour produire une carte de risque flou, bien plus informative qu’une simple classification « Risque/Non risque ».
En résumé
Sans logique floue | Avec logique floue |
Seuils fixes et arbitraires | Transitions progressives |
0 ou 1 | Degré d’appartenance (ex. 0.7) |
Décisions abruptes | Nuances et pondérations fines |
Risque d’exclure trop | Meilleure inclusivité analytique |
Le plugin FuzzyAttributes : un outil au service de la nuance
Le plugin FuzzyAttributes a été conçu pour convertir des attributs numériques en valeurs floues, et les combiner via des fonctions d’agrégation personnalisées.
Il propose :
- Des fonctions floues classiques (linéaire, triangulaire, gaussienne, sigmoïde…),
- Un outil visuel pour configurer les fonctions,
- La possibilité d’agréger plusieurs critères selon des logiques asymétriques,
- Un export dans un champ GeoPackage prêt à l’usage.
Grâce à cet outil, vous pouvez passer d’une vision rigide du monde à une analyse plus souple, plus fidèle à la complexité du réel.
Les fonctions d’appartenance : transformer les données en jugements flous
Voici les principales fonctions disponibles dans le plugin FuzzyAttributes, avec des exemples concrets :
1. Linéaire croissante

- Utilisée quand « plus c’est grand, mieux c’est ».
- Exemple : l’altitude pour une espèce de montagne, où l’aptitude augmente progressivement à partir de 800 m jusqu’à 1800 m.
- Paramètres : a (valeur minimale) et b (valeur maximale).
- Formule :
- 0 si x ≤ a
- (x − a) / (b − a) si a < x < b
- 1 si x ≥ b
- Formule :

2. Linéaire décroissante
- Cas inverse : « moins c’est grand, mieux c’est ».
- Exemple : taux de pollution, où une valeur élevée est mauvaise.
- Paramètres : a, b comme précédemment, mais inversés.

3. Trapézoïdale
- Représente une zone de « pleine appartenance » entourée de transitions.
- Exemple : une température idéale entre 18 °C et 22 °C, acceptable entre 16 °C et 24 °C.
- Paramètres : a (début transition), b (début zone idéale), c (fin zone idéale), d (fin transition).

4. Triangulaire
- Variante simplifiée de la trapézoïdale.
- Exemple : noter une humidité « idéale » à un point précis (ex. 65 %), mais tolérer un flou autour.
- Paramètres : a (début montée), b (sommet), c (fin descente).

5. Sigmoïde croissante (S)
- Représente une croissance lente, puis rapide, puis stabilisée.
- Exemple : acceptabilité d’un débit de rivière pour l’irrigation.
- Paramètres : c (valeur centrale), α (pente).

6. Sigmoïde décroissante (Z)
- Courbe en « Z inversé » : décroissance lente → rapide → plateau.
- Exemple : tolérance à la salinité du sol pour une culture.
.

7. Gaussienne
- Fonction en cloche.
- Exemple : sensibilité optimale d’une plante à un pH précis.
- Paramètres : c (centre), σ (écart-type contrôlant la largeur).
.
Normalisation vs Transformation floue : quelle différence ?
1. Normalisation linéaire classique
La normalisation min-max consiste à convertir une valeur numérique brute x vers une échelle normalisée allant de 0 à 1.
Elle s’effectue en soustrayant la valeur minimale de l’ensemble, puis en divisant par l’intervalle max(x)−min(x) selon la formule :
xnorm=x−min(x) / max(x)−min(x)
- Avantage : rapide, universelle, intuitive.
- Inconvénient : ne tient pas compte de la signification des valeurs. Tout est traité comme proportionnel.
Exemple :
Pour une température entre 10 °C et 30 °C, 20 °C devient 0.5… mais cela ne signifie pas nécessairement que 20 °C est « modérément favorable ». C’est juste au milieu de l’intervalle.
2. Transformation floue (fonction d’appartenance)
La transformation floue ne se contente pas de « remettre à l’échelle » : elle exprime un degré de satisfaction, de préférence ou d’appartenance à une catégorie.
Par exemple, une température de 20 °C peut être :
- parfaite (appartenance = 1) pour une espèce,
- acceptable (appartenance = 0.6),
- insuffisante (appartenance = 0.2),
en fonction d’une fonction définie par l’expert ou le modèle.
Cela permet :
- de modéliser des préférences humaines ou biologiques,
- de rendre le système plus robuste aux variations extrêmes,
- d’introduire des zones d’incertitude ou de transition (ex. « ni bon ni mauvais »).
Comparaison visuelle
Valeur brute | Normalisée (linéaire) | Floue (triangulaire centrée sur 20 °C) |
10 °C | 0.0 | 0.0 |
15 °C | 0.25 | 0.5 |
20 °C | 0.5 | 1.0 (optimum) |
25 °C | 0.75 | 0.5 |
30 °C | 1.0 | 0.0 |
Conclusion
- La normalisation est utile pour rendre des données comparables.
- La transformation floue est essentielle quand on veut modéliser des préférences, des incertitudes ou des jugements qualitatifs.
En somme :
Normalisation = mise à l’échelle
Flou = interprétation du sens

Voici un graphique comparant deux méthodes de transformation d’un attribut numérique :
- La normalisation linéaire (min-max) : transforme linéairement une variable entre 0 et 1. Chaque valeur est proportionnellement convertie en fonction de ses bornes.
- La transformation floue (fonction triangulaire) : accorde une importance maximale à une valeur centrale (ici 20°C) et décroît vers 0 de manière symétrique.
Différence essentielle :
- La normalisation ne donne aucune préférence : 30 est considéré aussi important (1) que 20.
- La transformation floue intègre une zone de pertinence maximale (le sommet de la fonction) et traduit l’idée de valeurs plus ou moins compatibles avec un critère idéal.
Ce principe est fondamental pour modéliser des préférences humaines, des seuils flous ou des zones d’incertitude.
À suivre…
Dans une deuxième partie, nous verrons comment combiner plusieurs cartes ou indicateurs flous à l’aide de fonctions d’agrégation. Cette étape permettra de passer d’analyses isolées à une synthèse globale, en tenant compte de l’incertitude et des préférences propres à chaque projet.