L’hydrologie avec un SIG, pour les nuls (que nous sommes): calcul de l’écoulement (4)

Dans les trois derniers articles, nous avons vu un exemple d’application de chacune des méthodes principales de calcul du flux d’écoulement. Bien qu’ils soient assez parlants d’eux mêmes, il faut bien passer par un peu de théorie pour compléter le sujet.
Tout d’abord, voyons ce qui se passe avec la méthode la plus répandue, utilisée en particulier pour tous les calculs hydrologiques d’ArcGis, la méthode D8.

Analyse des problèmes de la méthode D8

La méthode D8 permet à l’écoulement de chaque pixel de se faire en direction d’un seul voisin de réception. Cela revient à traiter les flux qui ont pour origine un pixel (une surface à deux dimensions, X et Y) comme si c’était une source ponctuelle (sans dimension) et de générer une ligne d’écoulement descendante (avec une dimension, la longueur) au lieu d’un chenal d’écoulement (avec deux dimensions, largeur et longueur). Bref, on mélange allégrement des torchons et des serviettes. Le voisin de réception unique impose également des restrictions sur les configurations du chemin d’écoulement possible, parce que le flux peut se faire seulement selon une direction cardinale (haut,bas,gauche,droite) ou sur une diagonale.
Les erreurs résultantes de ces limites sont différentes pour les terrains où le débit est divergent (où la largeur du chemin d’écoulement augmente en descendant la pente), convergent (la largeur du chemin d’écoulement diminue vers l’aval), ou est parallèle (la largeur du chemin d’écoulement est constante tout au long de la pente).

Les pixels amont d’une cellule sont appelés la Surface Contributive Spécifique (SCA) de cette cellule (le « bassin versant » de cette cellule).
La méthode D8 calcule la SCA correctement pour un écoulement parallèle (la largeur de la surface d’écoulement ne varie pas d’amont en aval) que lorsque le flux est dans la direction x ou y. Lorsque le flux forme un angle par rapport à l’orientation de la grille principale, deux types d’erreurs se présentent:

  • 1-les erreurs qui affectent la direction du trajet d’écoulement et,
  • 2- une erreur de sous-estimation de la SCA pour un trajet d’écoulement donnée.
  • La première source d’erreur se produit lorsque le flux forme un angle différent d’un multiple de 45 °. Par exemple, si le flux forme un angle de 30 ° par rapport à l’Est(mesurés dans le sens antihoraire), la direction de plus grande pente donnée par la méthode D8 sera vers le NE, et chaque pixel se déversera vers son voisin du NE.
    Cela se produit par l’approximation de l’angle de l’écoulement à 45 °; le flux modélisé sera détournée de son vrai chemin de 15 °.
    La seconde source d’erreur résulte de la projection unidimensionnelle de l’écoulement. Considérez un écoulement parallèle avec un angle de 45°( ou un multiple de 45 °).

    scéma d'un écoulement parallèle

    Dans l’image, le pixel A est le sommet de la pente.
    La surface amont d’écoulement sera calculée par une diagonale de pixels, se touchant par les coins. Pour le pixel situé en haut et à droite, il recevra, d’après le calcul la pluie tombée sur les trois pixels situes en diagonale, jusqu’au sommet.
    En réalité elle devrait comprendre aussi une partie (la moitié) de chaque pixel gauche et droit de ces pixels amont. La surface amont d’écoulement est donc sous-estimée par un facteur de 2 lorsque vous utilisez la méthode D8.
    Lors de l’utilisation D8, les surfaces amont calculées pour un écoulement parallèle sont correctes seulement pour les écoulement qui se produisent précisément dans une direction cardinale (0°, 90°, 180°, ou 270°), sont sous-estimées par un facteur de deux pour les écoulements qui se font précisément dans une direction diagonale (45°, l35°, 225° ou 3l5°), et sont inférieures à la valeur correcte d’un facteur compris entre 1 et 2 pour le écoulements qui se produisent entre les directions cardinales et les diagonales.

    Pour un écoulement divergent comme celui que nous avons sur le MNT semi-sphérique des articles précédente, les choses ne se passent pas de la même manière. Voyons d’abord comment travaille la méthode D8 dans ce cas.

    schéma de l'écoulement de la méthode D8

    Dans l’image, on considère que le pixel A est le sommet de la montagne, sphérique ou conique. Comme il faut bien sortir de ce pixel vers le bas, supposons que la méthode décide que l’écoulement se fait vers le pixel situé au NE.
    Les flèches indiquent les directions définies pour les autres pixels. Considérons maintenant le pixel B. Aucun des pixels amont (pixels Ouest, Sud Ouest et Sud contigus) ne se déverse vers lui. La méthode considère donc qu’il n’y a pas de SCA, de bassin versant, pour ce pixel. C’est seulement la pluie tombée sur lui même qui sera transmise vers son pixel aval.
    En réalité, son SCA est dessinée sur l’image suivante:

    écoulement vrai pour la méthode D8

    Le pixel doit recevoir en réalité toute la pluie tombée dan le triangle formé par le sommet de la montagne et ses deux coins « latéraux ». Au lieu de ça, la méthode D8 lui affecte une SCA = 0.

    Regardons ce qui se passe avec le pixel situé à gauche de B.

    écoulement vrai de la méthode D8

    Pour une SCA réelle sensiblement égale à celle du pixel B, on va retrouver une SCA calculée correspondante aux deux pixels situés vers le Sud Ouest, donc SCA=2. Ceci est dû au fait que ce pixel se situe sur une direction multiple de 45° par rapport au sommet.

    Ce phénomène va se reproduire tout au long de la pente. Nous aurons ainsi, des pixels tout en bas de la pente qui, comme le pixel B, n’auront pratiquement aucune SCA, et d’autres qui auront cumulé tout au long de la pente. Dans le cas d’école de la montagne sphérique ou conique, tous les pixels en bas de pente devraient avoir exactement la même SCA et le même flux cumulé.

    Pour un écoulement convergent, comme ce serait le cas d’un cratère conique, on retrouve le même type de problème mais avec des écarts entre les directions privilégiées (0,45,90,…) et les autres, moins marqués.

    A la lumière de ce qu’on vient de dire, vous pouvez maintenant mieux comprendre le résultat que nous avons obtenu dans nos autres articles pour l’écoulement avec la méthode D8.

    résultat de l'exemple d'écoulement avec la méthode D8

    Les « traits » blancs sur les directions privilégiées sont les pixels qui ont récupéré les SCA de leurs pixels amont, les zones noires en bord de l’image correspondent aux pixels qui se trouvent être comme notre pixel B de l’exemple.

    Analyse des problèmes de la méthode Rho8

    La méthode Rho8 tente de résoudre l’un des problèmes de méthode D8, la déviation du sens d’écoulement modélisées vers une directions cardinale ou diagonale. Ceci résulte de la structure arbitraire de la grille où on ne peut choisir que l’une de ces 8 directions.

    La méthode utilisée se base sur le hasard et les probabilités, ce qui n’est jamais simple à expliquer. On va essayer d’abord la véritable explication:
    La méthode Rho8 introduit une composante stochastique dans la méthode D8, ce qui permet de mieux respecter le sens d’écoulement suivant une pente et direction données. Comme dans la méthode D8. chaque pixel débouche dans l’un de ses huit voisins. Le choix du pixel de réception parmi les voisins est faite de manière stochastique. A l’un des voisins il lui est attribuée une probabilité p d’être choisi et à un autre voisin lui est attribuée une probabilité l – p.
    Le système d’attribution de probabilités et l’objectif de cette méthode sont illustrés dans l’exemple suivant : Considérons une surface plane avec une pente orientée de 30 ° (mesurée dans le sens antihoraire à partir de l’Est). Selon la méthode D8, l’écoulement se fera vers le pixel voisin situé au NE. La direction d’écoulement aura donc une différence de 15° avec la véritable direction d’écoulement. La méthode Rho8 attribue une probabilité p pour l’écoulement vers son voisin du NE et une probabilité de 1′-p pour que l’écoulement se fasse vers l’autre possible voisin, le pixel situé à l’Est.
    Au fur et à mesure que l’on descend la pente, certains pixels se déverseront vers leur voisin du NE, et le reste se déversera sur le voisin de l’Est. Si le nombre de pixels qui se déversent vers le NE par rapport au voisin de l’Est respecte les bonnes proportions (la proportion attendue est p / (1 – p)), les lignes de flux résultantes auront une direction globale de 30 °. La valeur de p doit être telle que la valeur attendue de la direction de trajet d’écoulement est égal à l’angle de la pente (« aspect »).

    En des termes plus caricaturaux, si les conditions se prêtent (longueur de l’écoulement,etc.) le hasard fait que l’orientation est autant modifiée dans un sens comme dans l’autre et qu’on retrouve à l’arrivée l’orientation d’origine.

    Bien que cette méthode fournit (en espérance mathématique) la direction de trajet d’écoulement appropriée, tous les autres problèmes identifiés pour la méthode D8 persistent. Mais en plus, la méthode Rho8 introduit ses propres problèmes: le hasard ne garantit pas des résultats reproductibles, et dans des endroits avec flux parallèles, les chemins d’écoulement adjacents ne sont pas parallèles, mais ils sont déviés au hasard, ce qui provoque souvent une convergence de flux qui devraient être parallèles. Ceci arrive en particulier sur des portions de surface planes, où les chemins de flux devraient rester parallèles et où on retrouve, à la place, des pixels avec des fortes accumulations.

    Une fois que deux voies d’écoulement ont fusionné en raison de leur déviation aléatoire, il n’existe aucun mécanisme qui puisse les faire diverger à nouveau. Au fur et à mesure qu’on se déplace vers le bas de la pente, les erreurs augmentent à mesure que le flux devient de plus en plus concentré.

    En définitive, certains pixels auront les valeurs de SCA surestimées, tandis que d’autres qui ont été manquées par les flux d’écoulement déviés au hasard auront des valeurs sous-estimées.

    résultat de la méthode rho8

    Analyse des problèmes de la méthode MFD

    Les méthodes multi-directionnelles tentent de résoudre la limitation majeure de la méthode D8, la représentation unidimensionnelle de l’écoulement, en distribuant des flux à partir d’un pixel vers tous les pixels voisins qui se situent plus bas que lui. C’est la règle qu’on utilise pour distribuer les écoulements respectifs vers ces voisins qui change, selon la méthode utilisée.

    Nous ne rentrerons pas dans les détails de la méthode MFD, basées sur la pente directionnelle des pixels, mais dans tous les cas, chaque pixel va s’écouler vers trois ou quatre autres pixels en fonction de la pente.

    Lui-même, va recevoir de l’écoulement de trois ou quatre pixels amont voisins, écoulement de chaque pixel qui ne sera pas complet (comme dans la méthode D8), mais partielle.
    Sur un plan incliné, un plan conique, ou circulaire, si l’on dessiner la zone amont de chaque pixel, on peut observer que celle-ci forme un triangle inversé, avec le sommet situé sur le pixel considéré et la base sur la limite amont du plan.

    La valeur de SCA calculée pour un pixel (la surface contributive ou bassin amont) est correcte, si et seulement si, elle se trouve assez loin de bords de la zone couverte par le MNT. Si c’est le cas, la zone triangulaire est comprise dans le MNT, sinon la région triangulaire est incomplète et la SCA est sous-estimée.

    Un paramètre de la méthode (la convergence) permet de compenser dans une certaine mesure, ce problème.Pour une montagne en forme de cône circulaire, une valeur de 1,1 a donné de très bons résultats. Le souci c’est que cette « calibration » se base sur la symétrie géométrique de la surface et va souffrir dans la mesure la surface naturelle du terrain s’écarte des surfaces géométriques symétriques utilisées pour la calibration de la méthode.

    Conclusion (s’il y en a une…)

    On va conclure ici cette série d’articles, non parce que le sujet peut être considéré comme clos, mais bien au contraire, parce que le sujet peut être considéré définitivement ouvert.

    Le but de ces articles n’est pas d’apporter les réponses, mais de poser les questions. Une fois posées, ces questions, nous aborderons avec plus de modestie la modélisation hydrologique d’un terrain. Et à chacun de poursuivre sa route en essayant de répondre aux nouvelles questions posées.

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    One thought on “L’hydrologie avec un SIG, pour les nuls (que nous sommes): calcul de l’écoulement (4)

    1. Merci pour cette série très intéressante, mais quand même je trouve qu’illustrer les méthodes en se basant sur une situation aussi irréaliste qu’une montagne parfaitement ronde nuit au comparatif des méthodes en situation réelle, et même peut-être à la compréhension des problèmes posés par ces méthodes. Sur une montagne ronde aucune méthode discrète ne peut donner de bons résultats. Une goutte d’eau fictive infiniment fluide s’étalerait dans toutes les directions jusqu’à couvrir tout uniformément d’un film infiniment mince ou jusqu’à faire un anneau d’eau tout autour du bas, et une bille arriverait n’importe où sans qu’on puisse privilégier une destination par rapport à une autre. Ces deux exemples montrent à mon avis l’ennui qu’il y a à utiliser cette forme de départ.
      Sur un MNT réel, surtout avec les volumes qu’on a avec par ex. Litto3D (1 noeud/m2 – gratuit sur le site du SHOM) ou le RGE Alti IGN (1 noeud/25 m²), les questions de performances des algorithmes deviennent très importantes : un algorithme meilleur mais qui ne se termine pas dans un temps raisonnable ou avec des ressources raisonnables n’est pas mieux qu’un moins bon qui réussit à se terminer sur MA machine !
      Cordialement.

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